RUBRIQUE : DROIT SOCIAL
L’existence d’un litige entre les parties n’interdit pas le recours à la rupture conventionnelle
Dans un arrêt de principe rendu le 23 mai 2013, la Cour de cassation a pris position pour la première fois sur la question de l’existence préalable d’un conflit lors de la conclusion d’une rupture conventionnelle. La solution retenue met désormais fin aux incertitudes qui planaient depuis la création de la rupture conventionnelle par une loi du 25 juin 2008. Elle invalide la position adoptée par de nombreuses cours d’appel.
Issue d’un accord interprofessionnel, la rupture conventionnelle a été pensée par les partenaires sociaux comme un nouveau mode de rupture du contrat de travail, permettant d’éviter le recours au juge. Selon les dispositions des articles L.1237-11 et suivants du Code de travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, en signant une convention soumise à homologation administrative. Cette procédure se distingue du licenciement et de la démission en ce qu’elle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties et doit garantir la liberté de leur consentement.
Depuis la mise en place de la rupture conventionnelle, le contentieux en la matière était resté peu abondant pour la Cour de cassation. Toutefois, quelques litiges ont fini par être portés devant la Haute Juridiction en 2013. L’un d’entre eux portait sur l’importante question de la validité d’une rupture conventionnelle alors qu’existait un conflit préalable entre les parties.
Sur ce point, l’arrêt rendu le 23 mai 2013 par la Chambre sociale apporte enfin une réponse, remarquablement claire. En effet, la Cour de cassation y énonce que « si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture (…), la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ».
En l’espèce, une avocate ayant commis des manquements avait été menacée et avait fait l’objet de pressions de la part de son employeur, en vue de l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle de son contrat de travail. La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel, en ce que les juges du fond ont estimé que le consentement de la salariée avait été vicié, ce qui justifie la requalification de la rupture conventionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, elle écarte explicitement l’argument tiré de l’existence d’un conflit préexistant.
Par cet arrêt, la Chambre sociale fait une simple application des dispositions de l’article L.1237-11 du Code du travail, qui fixent pour seule condition de fond à la validité de la rupture conventionnelle la liberté du consentement.
En effet, l’absence de contexte conflictuel préalable ne figure ni dans la loi, ni dans l’accord interprofessionnel de 2008. Rendre une solution contraire aurait donc amené la Cour de cassation à ajouter une condition nullement mentionnée par les textes. En outre, cela aurait été contraire aux objectifs et aux mécanismes de la rupture conventionnelle : rompre le contrat de travail dans le cadre d’une procédure négociée, encadrée et assortie de garanties, afin d’éviter de recourir au juge, y compris lorsque la rupture résulte d’un désaccord entre l’employeur et le salarié.
A rebours de décisions de certaines cours d’appel, la Chambre sociale réfute donc l’exclusion a priori en jugeant que l’existence d’un litige n’entraîne pas automatiquement l’existence d’un vice de consentement. Il reviendra aux juges du fond d’apprécier in concreto si le contexte conflictuel réside dans le fait de pressions exercées par l’employeur pour contraindre le salarié à signer une rupture conventionnelle.
Depuis cet arrêt, la Cour de cassation a eu l’occasion de réaffirmer sa position, entérinant ainsi cette jurisprudence (Cass. soc., 26.06.2013, n°12-15.208 ; Cass. soc., 03.07.2013, n°12-19-2013.