RUBRIQUE : DISTRIBUTION, CONCURRENCE, CONTRATS ET CONTENTIEUX INTERNATIONAUX
DES PIEGES DE LA REDACTION DES CLAUSES NON EXCLUSIVES D’ATTRIBUTION DE JURIDICTION
CASS. 1E CIV. 26 SEPTEMBRE 2012 N° 11-26.022 (N° 983 F-PBI), BANQUE PRIVÉE EDMOND DE ROTHSCHILD EUROPE
Est purement potestative et donc nulle la clause permettant à une seule des parties signataires le droit de saisir le tribunal de son choix.
Un client français était titulaire d’un compte bancaire auprès d’une banque ayant son siège au Luxembourg, compte ouvert par l’intermédiaire d’une société financière ayant son siège en France et affiliée à la banque. Reprochant à la banque et à sa société affiliée une faute relative à une baisse importante de la performance de ses placements, le client a assigné la banque et la société financière en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance de Paris. La banque et la société financière ont invoqué une clause attributive de juridiction désignant les juridictions luxembourgeoises.
La clause était stipulée de la manière suivante : « Les relations entre la banque et le client sont soumises au droit luxembourgeois. Les litiges éventuels entre le client et la banque seront soumis à la juridiction exclusive des tribunaux de Luxembourg. La banque se réserve toutefois le droit d’agir au domicile du client ou devant tout autre tribunal compétent à défaut de l’élection de juridiction qui précède. »
Ayant relevé que la clause, aux termes de laquelle la banque se réservait le droit d’agir au domicile du titulaire du compte ou devant tout autre tribunal compétent, ne liait, en réalité, que le client titulaire du compte qui était seul tenu de saisir les tribunaux luxembourgeois, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle revêtait un caractère potestatif à l’égard de la banque, de sorte qu’elle était contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence ouverte par l’article 23 du Règlement Bruxelles I .
Cette décision vient confirmer l’arrêt de la Cour d’appel Paris du 18 octobre 2011. Rappelons que ce n’est pas la première fois qu’une Cour d’appel a l’occasion de prononcer la nullité de telles clauses. Dans un arrêt du 22 mai 2008 (2008-206), la Cour d’appel d’Aix en Provence avait déjà eu l’occasion de sanctionner une clause en raison du caractère purement discrétionnaire du choix de la juridiction par une seule des parties.
La clause était libellé comme suit : « Si en cas de désaccord sur le présent contrat, il est impossible d’arriver à un compromis et qu’une action judiciaire est entreprise, les parties se soumettront à la compétence du tribunal désigné par l’obtenteur. »
Rappelons que l’article 17 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 a reconnu la possibilité des clauses dites non exclusives permettant aux parties de réserver à l’une d’entre elle la possibilité de saisir un autre tribunal que celui désigné contractuellement par elles :
« Si une convention attributive de juridiction n’a été stipulée qu’en faveur de l’une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention. »
Bien que non reprise expressément à l’article 23 du Règlement de Bruxelles (44/2001 du 22-12-2000), cette faculté de clause non exclusives destinée à avantager l’une des parties reste admise sous l’empire de Bruxelles I. D’ailleurs l’article 23 en complétant le principe de la clause d’attribution du for choisie par les parties, poursuit dans ces termes : « Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. »
Laissant ainsi ouverte la possibilité de clause non exclusive de compétence.
Toutefois la Cour d’appel de Paris rappelle à juste titre que toutefois, si ce principe valide les clauses exprimant clairement la volonté commune d’avantager l’une des parties, il n’autorise pas une clause à abandonner à une partie le choix d’une quelconque juridiction à sa discrétion, ainsi que le stipule en l’espèce la convention de for conclue entre les parties ; qu’il s’ensuit que cette clause est contraire à l’objet et à la finalité de la prorogation de compétence prévue à l’article 23 du règlement et dit qu’elle devait être écartée, étant considérée comme non écrite.
Tout est donc dans la rédaction de la clause non exclusive.
1) La première précaution est de définir la partie en faveur de laquelle la clause d’attribution de juridiction est prévue.
Cette partie ne peut être présumée comme l’a rappelé La Cour de justice (CJCE, 24 juin 1986) écartant une proposition de la Commission Européenne visant à considérer que « toute clause attributive de juridiction qui s’écarte du principe général de l’article 2 de la convention (de Bruxelles) qui favorise le défendeur, doit être présumée favorable au demandeur au sens de l’article 17, alinéa 3, de la convention ».
Au contraire la Cour de justice, met l’accent sur le caractère contractuel de la clause d’attribution de juridiction et exige « que la volonté commune d’avantager l’une des parties ressorte clairement, soit des termes de la clause, soit de l’ensemble des indices relevés dans le contrat ou des circonstances qui ont entouré la conclusion de celui-ci ».
La Cour poursuit en considérant que « la désignation d’un tribunal d’un État contractant où l’une des parties a son domicile ne suffit pas en soi, eu égard à la multiplicité des motifs qui ont pu inspirer une telle stipulation, pour emporter la conclusion que la volonté commune a été d’avantager cette partie ».
2) Les clauses qui permettent à l’une des parties de choisir une quelconque juridiction à sa discrétion sont léonines.
C’est que rappelle la Cour de Cassation et les Cours d’appel de Paris et d’Aix en Provence car constituant une dénaturation de l’article 17 de la Convention de Bruxelles.
Dans le cas d’espèce il convenait donc:
- d’une part de préciser que la clause d’attribution de juridiction était stipulée au seul bénéfice de la banque ;
- rappeler que le bénéficiaire pouvait saisir une autre juridiction conformément aux autres dispositions du règlement Bruxelles I ;
- permettre ainsi, sans imprévisibilité, à l’autre partie de saisir la juridiction choisie par les parties.
Le résultat recherché aurait été le même sans risquer la nullité pour caractère purement potestatif de la clause.