RUBRIQUE : DISTRIBUTION, CONCURRENCE, CONTRATS ET CONTENTIEUX INTERNATIONAUX
CONTRAT DE DISTRIBUTION INTERNATIONAL ET TRIBUNAL COMPÉTENT: CONFIRMATION DE L’ARRÊT MAISON DU WHISKY
La Cour de Justice de l’Union Européenne a eu l’occasion le 15 décembre 2013 de qualifier les contrats de concessions de vente comme des fournitures de services au sens de l’article 5-1-b du règlement Bruxelles I de 2000. C’est sans attendre son reste que la Cour d’Appel de Paris a étendu cette analyse aux contrats de distribution.
Les contrats de distributions sont indénombrables sur le marché et font la vie des acteurs économiques des Etats membres de l’Union européenne. Bien que bénéficiant d’un rattachement direct en matière de conflit de lois avec le règlement Rome I, une imprévisibilité subsistait en ce qui concernait les conflits de juridictions régis eux par le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 (bientôt remplacé par le règlement Bruxelles I bis, qui entrera en vigueur au 10 janvier 2015).
Avant le bouleversement annoncé par cet arrêt du 15 décembre 2013, le raisonnement pour trouver le tribunal compétent lors d’un litige impliquant un contrat de distribution était d’une complexité décourageante. Bien sûr, on pouvait se référer à l’article 2 du Règlement de Bruxelles I du 22 décembre 2000 qui pose comme chef de compétence le domicile du défendeur. Règle générale assez facile à intégrer et à mettre en œuvre par les juridictions des Etats membres. Cependant, le règlement pose en matière contractuelle une règle spéciale à l’article 5-1 bien moins évidente à saisir et c’est évidemment à celle-là qu’il fallait se référer en premier lieu pour les contrats de distribution. L’article 5-1-a énonce une règle générale en déclarant qu’en matière contractuelle la juridiction compétente est celle du tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Devant les problèmes évidents de qualifications en raison de cette formule si générale et floue , un article 5-1-b a été ajouté. Ainsi, un chef de compétence précis est donné en matière de vente de marchandise et prestation de service. En résulte que pour une livraison de marchandise les contractants pourront saisir lors d’un litige le tribunal du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées. D’autre part, en ce qui concerne la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. Bien qu’étant élaborée dans le but de permettre aux contractants la saisine d’une juridiction la plus proche possible du litige les affectant, l’article suscite encore de nombreuses confusions et problèmes de qualifications. Autant certains contrats se rattachent très clairement à l’une ou l’autre des catégories, autant une confusion règne pour d’autres comme les contrats de distribution. La distinction entre contrats de ventes de marchandises successifs et contrat de distribution étant souvent malaisée.
C’est dans ce contexte problématique que l’arrêt « Maison du Whisky » du 15 décembre 2013 de la CJUE est apparu. Dans cet arrêt, la Cour est venue interpréter l’article 5-1-b du règlement Bruxelles I à l’occasion d’un litige au sein d’un contrat de concession de vente. La question qui se posait était celle de savoir si le contrat en cause constituait un contrat de vente de marchandise (et à ce moment là le tribunal compétent était celui du lieu de livraison de la marchandise) ou un contrat de fourniture de service (et à ce moment-là le tribunal du lieu où les services ont été ou auraient dû être fournis). Cette opportunité fut donnée par le Tribunal de commerce de Verviers en Belgique, qui doutait de sa compétence au sein d’un litige impliquant la rupture unilatérale de relations contractuelles entre la société « La Maison du Whisky » (le concédant) et la société Cormans-Collins (le concessionnaire). Devant la contestation de sa compétence par la société Maison du Whisky, le tribunal de Verviers a préféré en renvoyer la question devant la CJUE.
La Cour devait ainsi déterminer quelle juridiction est compétente pour un litige concernant un contrat de concession. L’intérêt de tout juge est de trouver le moyen d’appliquer l’article 5-1-b et seulement à défaut se tourner vers l’article 5-1-a, jugé trop complexe. A cet effet, elle s’est interrogée sur la qualification du contrat de concession sous le joug de l’article 5-1-b du règlement Bruxelles I de 2000.
Afin de départager entre contrat de vente de marchandise et contrat de fourniture de service, la cour s’est attachée à déterminer quelle était l’obligation caractéristique d’un contrat de concession.
• Exclusion du contrat de concession comme contrat de marchandise
Si l’obligation caractéristique était celle de la livraison d’un bien, alors le contrat de concession de vente tomberait sous le couvert de l’article 5-1-b premier tiret . Or, selon la Cour, « une telle qualification peut trouver à s’appliquer à une relation commerciale durable entre deux opérateurs économiques, lorsque cette relation se limite à des accords successifs ayant chacun pour objet la livraison et l’enlèvement de marchandises ». Et pourtant la Cour estime ici que la qualification de vente de marchandises « ne correspond pas à l’économie d’un contrat de concession typique, caractérisé par un accord-cadre ayant pour objet un engagement de fourniture et d’approvisionnement conclu pour l’avenir ». Le contrat de concession n’est donc pas considéré par la CJUE comme un contrat de vente de marchandise.
• Qualification du contrat de concession comme contrat de fourniture de services
Excluant le contrat de concession comme contrat de vente de marchandise, la Cour s’est intéressée à la nature de l’obligation caractéristique d’un contrat de fourniture de service. Reprenant la jurisprudence « Falco » , la CJUE entend la notion de « services » comme le fait pour une partie qui les fournit d’effectuer une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération. Il y a donc deux critères à vérifier : une activité déterminée et une rémunération en contrepartie.
Sur l’activité déterminée, il suffit de retrouver chez le concessionnaire un acte positif. La cour estime que la distribution des produits du concédant par le concessionnaire permet d’offrir aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur et, ainsi, de conquérir, au profit des produits du concédant, une plus grande part du marché local. A cet acte positif existe une contrepartie que la Cour considérera comme « rémunération » non sous forme d’argent mais plus dans la forme d’un ensemble d’avantages reçus par le concessionnaire (tels que l’aide en matière d’accès aux supports de publicité, la transmission d’un savoir-faire au moyen d’actions de formation, ou encore de facilités de paiements). La Cour qualifie donc le contrat de concession comme contrat de fourniture de services, déterminant ainsi le chef de compétence direct du tribunal du lieu où les services ont été ou auraient du être fournis simplifiant considérablement la procédure en cas de litige. Cette qualification évite ainsi au juge de se référer à l’article 5-1-a et à la loi applicable au contrat pour connaître le tribunal compétent. Mais surtout, elle permet aux contrats de distribution de s’infiltrer dans la brèche.
• Derrière les contrats de concessions, les contrats de distribution
Il n’a fallu que quelque mois à la Cour d’appel de Paris pour profiter de cette porte ouverte par l’arrêt Maison du Whisky et s’y engouffrer. Peut-être était-ce l’objectif initial de ce premier arrêt, la qualification d’un contrat de concession ne remportant pas grand enjeu à la base. Il ne faut pas négliger que la qualification de « contrat de concession » en l’espèce était le fait de la loi belge, et pouvait renvoyer dans d’autres législations à un contrat de distribution dans une conception plus large. Ainsi, la Cour d’Appel de Paris par un arrêt en date du 3 avril 2014 énonce que « la règle de compétence édictée au second tiret de l’article 5§1 b) pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services trouve à s’appliquer dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur établi dans un Etat membre fait valoir à l’encontre d’un défendeur établi dans un autre Etat membre, des droits tirés d’un contrat de distribution ». Il n’y a donc aucun doute permis, par ce considérant dénué de nuances la cour d’appel a bien étendu la solution admise par la CJUE dans son arrêt Maison de Whisky aux contrats de distribution. Et c’est en ouvrant une telle solution que l’arrêt Maison de Whisky s’érige en arrêt de principe incontournable.
Il est dorénavant aisé de déterminer quel tribunal est compétent quand émerge un litige au sein d’un contrat de distribution, il suffit désormais de regarder le lieu de fourniture du service. Mais n’oublions tout de même pas qu’avant d’aller interpréter Bruxelles I, la solution la plus simple est encore celle d’insérer une clause attributive de juridiction au sein du contrat !