RUBRIQUE : DROIT DES SOCIETES
Délai d‘information des salariés sur la vente de leur entreprise : le Conseil d’Etat déchaine une tempête… dans un verre d’eau
Septembre 2016
CE 1e-6e ch. 8-7-2016 no 386792 : JO du 21-7 texte n° 54
Episode 1 : Un décret de 2014 précise que dans les SARL ou les sociétés par actions qui n’ont pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise, le détenteur d’une participation majoritaire qui envisage de vendre celle-ci doit en informer les salariés au plus tard deux mois avant la vente afin de leur permettre de présenter une offre d’achat de cette participation (C. com. art. L 23-10-1).
L’article D 23-10-1 du même Code dans sa version issue de l’article 1er du décret du 28 octobre 2014 indique que « le délai de deux mois (…) s’apprécie au regard de la date à laquelle s’opère le transfert de propriété ».
Episode 2 : En définissant la date de cession comme celle à laquelle s’opère le transfert de propriété, le pouvoir réglementaire a méconnu, estime le Conseil d’Etat, les dispositions de l’article L 23-10-1.
En effet, le législateur a entendu permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d’achat en donnant au cédant la liberté de choisir, le cas échéant, entre cette offre et l’offre d’un tiers ; l’effectivité du droit pour les salariés de présenter une offre de reprise implique qu’il puisse être exercé en temps utile pour que le cédant, sans y être tenu, soit en mesure d’accepter cette offre. Il en résulte que la date de la cession doit nécessairement s’entendre comme la date de conclusion de la vente, et non comme celle du transfert de propriété, dont les parties peuvent convenir qu’il interviendra plus de deux mois après : elles peuvent en effet déroger à l’article 1583 du Code civil fixant le transfert de propriété de la chose vendue à la date où elles sont convenues de la chose et du prix ; en outre, les articles L 228-1 et R 228-10 du Code de commerce sur le transfert de propriété des actions prévoient que ce transfert résulte de leur inscription en compte à une date fixée par les parties.
En conséquence, le Conseil a annulé l’article 1er du décret de 2014 en ce qu’il a inséré l’article D 23-10-1 dans le Code de commerce.
Episode 3 : Un décret du 28 décembre 2015, applicable depuis le 1er janvier 2016, avait modifié la rédaction de l’article D 23-10-1 issue du décret de 2004 pour préciser que la date de cession s’entendait de « la date de conclusion du contrat ». Toutefois, cette « régularisation » opérée par le Gouvernement avant l’annulation prononcée par le Conseil d’Etat est illégale. L’annulation a un effet rétroactif de sorte que la disposition réglementaire visant à corriger le texte s’en trouve anéantie et ne produit plus d’effet pour l’avenir. Le décret du 28 décembre 2015 même conforme à l’analyse du Conseil d’Etat ne peut modifier un texte annulé.
En conclusion : si le texte modifié par le décret est sensé ne plus exister, les parties à la cession pourront toujours s’en prévaloir (ou du moins à sa substance et sans le citer !!) puisqu’il est strictement conforme à la décision du Conseil d’Etat : CQFD