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Les lettres de mise en connaissance de cause (article L.615-3 du code de propriété intellectuelle et littéraire) : attention au dénigrement !
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 27 mai 2015, qualifie d’acte de concurrence déloyale par dénigrement, la lettre litigieuse, exclusivement centrée sur la question de la violation de brevets et rédigée en termes comminatoires, sans explication sur les éléments prétendument constitutifs de l’atteinte alléguée. Cet arrêt vient préciser quelles sont les conditions licéité des lettres de mise en connaissance de cause visées à l’article L. 615-1 alinéa 3 du Code de propriété intellectuelle et littéraire. En l’absence de licéité de ces dernières, la responsabilité de leur auteur pourra être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil pour dénigrement.
Une société soutient que des téléviseurs et décodeurs numériques, conçus, fabriqués et commercialisés par une autre société qui avait bénéficié de 1991 à 2006 d’une licence sur ses brevets relatifs aux produits analogiques, mettaient en œuvre les inventions protégées par ses brevets.
Dès lors, elle les a avisées de cette utilisation illicite. Tandis que les parties étaient en discussion, la société contrefaite a adressé à des clients son concurrent une lettre les mettant en garde sur le fait que les téléviseurs numériques de marque dudit concurrent pourraient requérir une licence de huit brevets européens.
Cette mise en garde visait à bénéficier de l’article L. 615-1 alinéa 3 du Code de propriété intellectuel et littéraire disposant que « l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise dans le commerce d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause ».
Cependant, cette mise en garde doit respecter certaines conditions sous peine d’être qualifiée d’acte de concurrence déloyale par dénigrement ! En effet, la rédaction et l’envoi d’une lettre de mise en connaissance de cause sont régis par les règles de bonne foi et de loyauté du droit commun. Dès lors, la responsabilité pourra être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Par un arrêt du 6 novembre 2013, la Cour d’appel de Versailles, a conclu que les lettres adressées constituent des actions de concurrence déloyale par dénigrement, constitutifs d’un trouble manifestement illicite et, en conséquence, a prononcé une mesure d’interdiction sous astreinte.
La Cour de cassation va confirmer l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles. Elle constate que la lettre de mise en connaissance de cause « indiquait que les téléviseurs numériques vendus sous certaines références étaient susceptibles de requérir une licence de huit brevets dont les numéros étaient mentionnés, selon une liste non limitative à laquelle pourraient s’ajouter les brevets figurant sur un CD-Rom annexé, précisait que, certains fournisseurs ayant choisi de ne pas participer au programme de « licensing », la commercialisation de leurs produits dans les pays protégés donnait lieu à des « problèmes juridiques » et invitait les destinataires, à défaut d’obtenir la preuve par leur fournisseur d’un certificat de licence, à cesser la commercialisation de ces produits ou à souscrire une licence directement auprès de la société» ainsi que « l’envoi de cette lettre ne peut être légitimé par l’existence de pièces annexées ».
Par ces motifs, la Cour nous démontre que les allégations de contrefaçon contenues dans la lettre ne peuvent être prouvées. Par conséquent, la Cour juge que la lettre mettant en cause, sans justification, la loyauté la société soit disant contrefaisante dans la fabrication et la commercialisation de ses téléviseurs et décodeurs numériques, doit être qualifiée d’acte de dénigrement.
Cet arrêt ne vient pas mettre fin à la pratique des lettres de mise en connaissance de cause visées à l’article L. 615-1 alinéa 3 du Code de propriété intellectuel et littéraire, il vient encadrer cette pratique. Ces dernières devront donc être objectives et non comminatoires sous peine que la responsabilité de son auteur soit engagée sur le fondement de l’article1382 du Code civil.
Il n’est pas inutile de rappeler que cette solution s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle existante. En effet, avant cet arrêt, il avait déjà été jugé que la diffusion d’informations exactes pouvait être constitutive d’un acte de dénigrement dès lors qu’elle jette un discrédit sur un concurrent par manque d’objectivité (Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 mars 1999).